La condamnation de mon unique proche, mon seul frère, fut sans nul doute la pire épreuve de ma vie et, pourtant, lorsqu'on connaissait mon passé et que j'affirmais aux gens que perdre Jared, le voir enfermé pour attendre la mort, mes interlocuteurs me servaient de grands yeux ronds, incrédules... J'ai beau avoir eu une existence peu reluisante, une jeunesse qu'on qualifierait de débauchée, croyez bien que si je n'avais pas aimé la mauvaise personne, qui aujourd'hui encore est capable par delà la mort de me rappeler aux sentiments profonds (aveugles même) éprouvés à son égard, j'aurais sans doute pu vous narrer une histoire bien plus douce que celle qui fait de moi ce que je suis et resterai. J'étais éprise, amoureuse, naïve et stupide comme certains d'entre vous le diront surement, mais plus que loyale, peut-être trop même, trop amoureuse, trop éprise et grandement attachée à cet homme de six ans mon aîné. Je l'ai rencontré lorsque j'avais quinze ans, un seul regard a suffi, nous nous sommes très vite rapprochés, très vite liés, presque à me menotter à lui pour que jamais il ne me quitte... J'ai tout fait pour le garder, même devenir celle que jamais je n'aurai imaginé devenir pour les beaux yeux d'un homme, pas même pour Jared.

Afin de lui offrir tout ce dont il avait besoin, cette poudre nocive et ces autres substances prohibées, j'ai laissé maints hommes payés pour s'accorder mes faveurs, sous la demande de celui qui tenait mon cœur, mon âme et mon corps, entre ses paumes et qui m'assurait que sans sentiment, envers ceux dont l'argent me salissait pour mieux lui assurer ses doses, il ne s'agissait de rien de plus qu'une mise à contribution... Naïve oui, amoureuse d'avantage encore, au point de m'y plier durant plus de deux ans, jusqu'à ce qu'un jour il disparaisse de la circulation, sans que je sache pourquoi, mais bien qu'on m'ait trouvé crédule à l'époque, je sais au fond de moi, et ce même s'il ne s'en est jamais vanté, que Jared l'a éloigné de moi en l'offrant aux bras squelettiques de la dernière femme qui veillerait sur lui : la mort.

Seule après coup, n'ayant plus à me soumettre malgré le chagrin qui me rongeait, après le désir d'en terminé pour n'avoir plus aucun avenir traçable devant moi, le coup du sort fut bien plus grave encore lorsque mon frère fut accusé des meurtres de son épouse et de l'amant de celle-ci. Ayant assisté aux audiences, le verdict fut comme un coup de poignard porté en plein cœur, mon protecteur, le seul homme qui m'aimerait sans me faire plier à des requêtes écœurantes, disparaîtrait dans les trois ans suivants la peine offerte par le juge. Je sais encore exactement comment la chance a tourné pour moi, comment j'ai pu reprendre ma vie à pleine paumes, comment, du jour au lendemain, j'ai obtenu l'échappée belle de mon frère. Sa vie n'avait aucun prix pour moi, j'aurai volontiers refait le même chemin dégradant pour qu'on me le rende, qu'on le libère, mais ce fut bien plus simple. Il suffit d'une rencontre, d'un contrat signé dans lequel je devais simplement taire les actions d'une entreprise, faire la sourde oreille et l'aveugle si toutefois les activités véridiques de mes supérieurs me parvenaient, simplement servir d'assistante, sourire et rester discrète, presque fantomatique, afin d'avoir la chance de revoir Jared loin de l'injection mortelle qui l'attendait de pied ferme. J'ai donc apposé ma signature, me suis pliées aux demandes et, enfin, le jour J, alors que la terre tombait pour ne plus se redresser, j'ai enfin pu libéré le seul homme que je ne trahirai jamais.

Depuis, et ce malgré mon passif qu'on qualifiera de ce qui vous semblera le plus adapté, je me fiche bien des jugements à mon égard, je vis, je souris, je tâche de profiter enfin, sans plus me morfonde où simplement lorsque le poids de la solitude est bien trop pesant pour ne pas me rappeler à celui qui, malgré le passé déplorable qu'il m'a offert, reste encore le premier homme que j'ai aimé au point de m'y oublier...