Dans ma communauté, ce que certains nommeraient tribu, on respecte la nature, le feu, la terre, l'air et l'eau... Chacun de ces éléments à son propre dieu et d'autres plus doux ou perfides, comme le bien ou le mal, se greffent autour d'eux pour générer chaque chose dans une vie. Ainsi on croit que tout est écrit, que tout est à faire sans que rien ne vienne interférer et réécrire une histoire déjà posée noir sur blanc dans les pages d'un livre imaginaire. Je n'y ai jamais trop prêté attention, tout comme lui d'ailleurs, nous étions deux à nous taire, à écouter les légendes des notre, leurs ferventes croyances, tout en nous souriant, simplement persuadés, en silence, que tout était imprévisible, que le destin pouvait changer à chaque seconde qui passait, que nos choix pouvaient changer la donne, nos pensées tracer un tout autre embranchement sur le sentier de nos existences. On en a jamais vraiment parlé jusqu'à comprendre, sans doute chacun de notre côté, que nous avions raison.

-T'es sérieux Jay ? Son rictus, et ce sourire à fossette creusée, m'en avait arraché un alors qu'il croisait mon regard au delà des feuillages. Elle t'a carrément dit une fille aux cheveux flamboyants, cette vielle pie est sénile, tu crois à ces trucs de voyance ?

-Je dis pas que j'y crois, je dis simplement que ça ficherait un coup aux croyances des autres, surtout celle de l'ancienne. Cette fois un rire éclata au creux des arbres et sur toute la surface du lac vers lequel le chemin débouchait.

-L'ancienne, si elle est pas cinglée alors qui l'est ? Avait-il rit.

-Nous deux à ses yeux. Avais-je ri à mon tour en quittant la selle de mon cheval pour agripper les rennes et les enrouler autour d'une branche.

-Un jour on finira maudit, du moins si elle vient à savoir qu'on blasphème dans son dos, et pire que toi tu consulte la vielle Seyine qui t'assure qu'une jolie fille au cheveux roux va débarquer chez nous. Avait-il souri en descendant de monture. Soudain, alors qu'il terminait de retirer la selle de l'équidé, un bruit chatouilla mes oreilles. T'as entendu un truc ? Mon index avait filé mes lèvres pour lui intimer de se taire, jusqu'à ce qu'il empoigne le fusil accroché au cheval en me voyant blêmir.

-Viens ! Y a une fille qui crit par là, grouille Quil. Avais-je pressé alors qu'il m’emboîtait le pas pour nous enfoncer davantage aux abords du lac. Les hurlements se rapprochaient, cette fois accompagnés par des rires et des feulements masculins puis, à quelques mètres, nous avons vu trois hommes, d'environ nos âges, penchés contre une corolle de mèches feux. Hey !!!!

Les trois paires d'yeux se redressèrent, le regard de Quil changea en contemplant la jeune fille sur laquelle je n'avais encore posé le miens, plus attentif à ces trois personnes dont les battements de cœur, et celui de leur sang, m'intimaient clairement leurs intentions peu reluisantes. Soudain, le cliquetis de l'arme de mon meilleur ami retentit à m'en faire déglutir jusqu'à l'entendre ordonner auprès d'eux. Un échange verbal sec c'en suivit jusqu'à ce qu'il tire dans l'épaule d'un des gars, la balle l'effleura certes mais ils furent certains qu'il n'en resterait là. Quand ils eurent dégagé la zone, que mes yeux restèrent pointés sur leurs dos, Quil s'approcha d'elle et là mon cœur bondit. C'était elle, la fille dont Seyine avait parlé, belle comme dans l'image que je m'en étais faite, fragile comme une plume brisée par une pluie torrentielle. Sa voix retentit, celle de mon ami tout autant, quant à la mienne, elle resta nouée dans le fond de ma gorge, simplement car contrairement à ce qu'aurait pu en penser les esprits de l'ancienne, elle n'avait rien de dangereux mais ressemblait davantage à un ange, quelque chose qui changerait l'écrit de nos destins... de son destin.

Je ne suis pas dupe, je me suis fait à l'idée qu'il s'en est entiché dès les premiers regards, sans doute car elle ne ressemblait en rien aux filles de chez nous, qu'elle avait ce truc différent qu'il ne s'expliquait pas tandis que moi je l'avais sur le bout de la langue sans lui souffler pour autant, simplement pour avoir une chose d'elle que lui n'aurait pas à contrario de toutes les autres qu'elle lui offrirait en devenant son épouse. Je savais et pas lui, je savais en silence et garderait celui-ci sans doute, simplement car Quil était comme mon frère et que si elle l'aimait autant que lui pouvait en être épris, alors jamais je ne le trahirai, elle sera sienne dans quelques jours, pourtant j'en suis tout aussi proche sans jamais lui avoir manqué de respect, peut-être que c'était ça la vision de Seyine, le sens exact de cette phrase : "elle va secouer vos existences, il faudra choisir..."