J'ai toujours été rancunier, particulièrement quand on fait de ma vie un copieux enfer malgré maints efforts, certes il en faut pas mal pour me foutre en boule, en général je maîtrise, d'ailleurs pour le boulot que je fais il vaut mieux : Dire à un client d'aller se faire foutre n'est pas très fidélisant vous me suivez ? Bref j'ai toujours su me contrôler, toujours été dans le moule et toujours attentivement suivi les conseils de ma mère et de ma sœur quant à des "sois concilient dans tes relations amoureuses Taylor, parfois il faut faire des concessions", je l'ai fait durant près de six mois, avec elle : la blonde en photo là sur l'un des vieux cadres qui ornent encore mon salon. Six mois à subir ses sautes d'humeurs, ses crises de nerfs et d'hystéries permanentes, en hochant gentiment la tête sans véritablement écouter, oui au bout d'une semaine on lâche vite côté tympans mais on opine du chef en un sourire niais, du genre : "vas y chérie défoule toi, j'ai juste envie que ça passe et vite pour pouvoir aller me pieuter pénard sur le sofa et filer au boulot le plus vite possible demain matin".
Ceux qui diront que je n'ai pas fait d'effort, je pense que je serai capable de leur lever le majeur au nez, ceux qui me sortiront que j'ai perdu l'une des perles rares du monde, n'ont sûrement pas vécu un an avec cette tarée. Bref cette blonde là, c'est Joy Perry, corps sublime, yeux sublimes, rien à redire côté physique mais, côté relations humaines, une coquille vide. Je lui en veux, pas pour m'avoir plaqué, non ça au contraire je l'en remercierai jamais assez chaque jour que ce cher bon dieu (attention s'il existe) fait, mais simplement pour tenter de me repêcher, par tous les moyens possibles, allant de la haine à l'excès de romantisme écœurant, depuis que ma sœur et moi avons hérité d'un vieil oncle ayant cassé sa pipe. D'ailleurs tonton, si tu me lis, merci mais désolé, on se connaissait pas tant que ça.
Bref allons droit au but, le type là en tee. shirt noir, jeans et convers, qui quitte son pick-up pour saisir un gros bac sombre, assez lourd quand j'y pense, c'est moi : Taylor Jensen, 33 ans, en co-gérance d'une boutique de fleurs avec sa sœur aînée Kate Jensen. Je souris oui, simplement car ce que je m'apprête à faire me fait plaisir, peut-être même jubiler tien.
-Salut Tay, tu remets le couvert avec Joy ? Un sourire immense étire mes traits.
-C'est exactement ça, d'ailleurs tu sais si elle est là ? j'ai un petit cadeau pour elle et ça peut vraiment pas attendre ce soir.Là vous voyez le sourire faux sur mes lèvres ? c'est de ça dont je parlais plus haut, retenir sans laisser éclater, mais ce type là, est un client de la boutique, lui annoncer qu'il est clairement stupide de penser une telle connerie n'est donc pas envisageable. Enfin, Passons, il me répond, je le remercie en un hochement de tête et je me sers d'une clef, parvenue chez moi deux jours plus tôt avec le petit mot, lui aussi dans ma main, pour passer le sas de l'immeuble et m’engouffrer dans l'ascenseur jusqu'à m'arrêter devant cette porte où, dans deux minutes, étant donné que mon doigt presse la sonnette sans relâcher, le minois de Joy, pouponnée pour partir bosser, apparaîtra. J'entend ses pas, mon sourire s'élargit et je resserre la prise sur le bac dont j'ouvre le couvercle pour y ajouter le trousseau, le mot, le cadre photo y étant déjà. Une odeur nauséabonde embaume le hall, je vois même l'adorable, attention je suis ironique là, madame Frangin, plisser du nez dans l'entrebâillement de porte et me contente de lui servir un adorable bonjour et là... Joy ouvre, brushing parfait, maquillée, et... surtout, vêtue de blanc, là j'en attendais pas tant mais son regard, pétillant, du genre de celui d'une fille vénale qui espère repêcher son ex plein aux as, lui je m'y attendais et il est même carrément jouissif.
-Taylor !!! S'exclame-t-elle, prête à me faire rentrer.
-Hé Joy !!! T'as oublié des trucs chez moi, ou alors le facteur s'est encore trompé, faudrait penser à lui dire que Times Square et Central Park c'est pas vraiment le même secteur. Je la vois plisser du nez quant à l'odeur immonde du bac et là, je laisse à mes bras l'audace de prendre de l'élan, au ralentis, après un cri tout aussi lent, digne des plus grands chefs d'oeuvre comiques, je l'entend hurler, la vois redresser les bras mais, trop tard. Le composte, gardé depuis des semaines dans l'arrière boutique, se projette sur elle et tapisse chaque parcelle de cheveux, de vêtements et de peau sous mon air satisfait. Le temps reprend son cour et je la vois fulminer, secouer les mains, alors que j'empoigne moi même la clinche de sa porte d'entrée.
Ça aussi je t'avais demandé de le vider... Bonne journée chérie ! La porte se claque, je redescend, puis me met au volant en un petit signe au voisin.
-Alors elle est contente ?-Trop, je pense qu'elle va s'en souvenir et qu'elle va même être en retard au boulot ! Mon sourire ne fuit pas, je démarre et enfin je regagne mon paradis, le calme de la boutique, le parfum des fleurs...
Vous voyez, c'est sa la vie, après avoir vécu l'enfer, j'ai simplement plus envie de me faire emmerder, surtout pas par une fille qui ne sait pas apprécier le fait d'avoir survécu à une telle horreur pour être aussi chieuse qu'elle devait l'être avant. Là, j'avoue, j'ai pas vu plus le loin que le bout de mon nez mais, comme on dit, un chien averti en vaut deux... Voilà, je suis Taylor Jensen, je suis fleuriste, j'aime rire, sourire, servir et ma vie me va très bien, si je devais faire un vœux ? Hum, que Joy déménage loin, ou mieux, qu'elle devienne amnésique, moui, une petit amnésie, après tout c'est pas comme si je souhaitais sa mort, l'amnésie j'ai le droit non ?