La pluie, c'est quelque chose que j'ai toujours aimé, et même si on parle de larmes du ciel, de mélancolie ou de grisaille lorsqu'on évoque ce phénomène, j'ai une toute autre manière de la voir. Je peux rester des heures à la contempler, une cigarette aux lèvres, les doigts près du clavier, sans plus bouger, presque sans respirer pour entendre ces notes, différentes selon la surface sur laquelle s'écrasent les gouttes, dans toute leur splendeur. Autrefois, j'aimais le soleil, le ciel bleu, les nuages cotonneux au creux d'une voûte radieuse, autrefois oui... mais depuis que le monde a plongé dans la noirceur, sans pour autant que je sente la gifle me revenir en pleine figure, j'imagine m'y être complu, m'y être enlisée, pour devenir autrement que celles que je côtoie sans les apprécier. Toutes ces femmes, aux époux aussi riches -peut-être moins- que l'est le mien, sont resplendissantes, fardées comme des reines, le sourire plus faux que le toc aux lèvres... Pour ma part, je ne souris que peu, où de manière détachée, je ne suis qu'un visage sur des mots, des compliments qui me sont faits pour porter une alliance ayant été longuement convoitée par d'autres plus fraîches, plus jeunes, plus belles, plus visibles, plus présentes... Je suis celle qu'on attend que je sois, splendide aux Galas, discrète à son bras, belle et apprêtée sans en avoir véritablement le choix. Si je l'aime ? Je dirai que je l'ai aimé, mais on ne se détache pas si facilement, on apprend juste à développer d'autres sentiments que l'amour quand on est l'épouse « de », on nous enseigne bien d'autres choses que les émotions véritables, que les ressenties merveilleux des premiers instants où le charme opère... On devient une ombre, l'ombre d'un homme, qu'il ressort pour les grandes occasions et gratifie grâce à de nombreuses cartes de crédit. Les autres, celles que je nommerai connaissances plutôt qu'amies, y trouvent leur compte, jouissent d'accès aux clubs les plus prestigieux, aux boutiques privatisées et autres lieux mondains qui ne connaissent pas vraiment leurs identités mais plutôt la valeur du compte de leurs maris. Tout se paye, se monnaye, sans l'argent elles ne seraient qu'âmes en peine sans doute, des âmes en peine sans plus l'amour pour leur venir en aide...

Et moi, dans tout cela, je suis une âme esseulée, je suis riche, mariée, renommée et, malgré tout ça, malgré l'amour que je peux encore lui porter, je ne suis véritablement qu'un objet qu'on pose, dispose et propose, afin de ne jamais le fêler. Beaucoup diront que je n'ai en aucune manière le droit de me plaindre, et ils auraient raison car j'ai encore un refuge, un monde, un univers secret, où l'écriture me permet de m'évader, de vivre à demi, au travers de personnages que je rêverai d'être sans en avoir la possibilité.