Les murs de la ville se sont offerts à moi onze mois plus tôt, ici, dans cette citée loin des cauchemars et de l'horreur extérieure, je pensais m'installer, le voir sourire lorsque je mettrai notre enfant au monde, obtenir du temps pour étudier, faire de ma nouvelle vie un nouveau départ bien loin des foyers dans lesquels j'ai été ballottée. Avec son aide et son soutien, l'amour que je pensais réciproque, tout serait parfait et, pourtant au détour d'une rue, avant d'entrer dans ce foyer, qui serait sans doute là la ligne de départ pour tout, je n'imaginais aucunement ce qui allait se produire.

-Attends, Avais-je dit en lui retenant le bras. Lucas, il faut que tu saches quelque chose que je gardais pour cet instant, je... tu vas être papa. Sur le coup, je n'ai vu aucune différence dans son regard, sans doute l'amour qui aveugle. C'est génial non ?

Mon enthousiasme était pourtant le seul, je l'étais simplement pour deux alors qu'il avait une tout autre idée derrière la tête. Il n'a pas répondu, ses lèvres se sont juste étirées faiblement puis il a ouvert la porte de cet endroit, m'a fait rejoindre une chaise et m'a assuré en avoir pour peu de temps, simplement histoire de nous inscrire sur les listes afin qu'on puisse nous recenser. Après une demie heure, on se donne une première excuse, simplement un "il y a sans doute du monde, il doit patienter derrière quelques personnes", au bout d'une heure, on commence à se mordiller la lèvre et contempler les aiguilles, espérant le meilleur tandis que l'angoisse vous ronge les entrailles mais, à court de temps, lorsqu'un homme s'approche de vous pour vous demander votre identité et si vous êtes seule, que vous lui indiquez paisiblement tout en gardant un sourire hésitant, que votre petit ami ne devrait plus tarder, mais qu'on vous indique qu'il a filé à la première minute durant laquelle vous patientez sans crainte, tout s'effondre... Vous êtes seule, comme lorsque vous avez franchi un seuil étranger pour la toute première fois, seule et pourtant un autre cœur battait en moi sans que je l'entende encore, j'avais donc le choix entre abandonner égoïstement ou me battre encore et, pour avoir lutté des années contre la mort, alors j'ai décidé de continuer...

En regardant cette petite poupée de trois mois aujourd'hui, en plein milieu de la nuit, et bien qu'il est parfois dur de tout cumuler, je me dis que j'ai bien fait, je ne suis plus seule et elle, quoi qu'il advienne, ne m'abandonnera jamais.