Très cher Pierce,

Je ne sais depuis combien de temps je ne t'ai écris, cela me paraît une éternité mais, depuis quelques temps, depuis notre union pour être exacte, il me semble qu'on surveille mes moindres faits et gestes, surtout lorsqu'il s'agit de joindre les gens ayant eu, et ayant encore, une place importante dans ma vie... Je ne me suis jamais fourvoyée concernant mes sentiments à ton égard, je ne te les ai jamais dissimulé non plus et, pourtant, je ne pouvais plus reculer devant Philip. Il était trop tard, nos fiançailles bien avancées, le mariage à peu de mois d'être célébré et pour ces maux, qui t'ont sans doute rongé -et je ne parlerai pas au présent ne sachant guère si tu éprouves encore quelconque émotion à mon égard, ce qui soit dit au passage je n'espère pas, simplement pour te savoir en paix et loin des tourments sentimentaux qui nous ont si longuement léché- tout comme j'en éprouverai toujours pour toi, je tiens à te demander pardon, pardon de n'avoir su faire preuve d'audace à l'époque car, désormais, l'échéance approche pour moi.

Je ne suis pas dupe, j'ai été bien trop curieuse, bien trop éprise de savoir, connaître, ce qu'ils manigançaient en me tenant à l'écart... Désormais, "ma Vie" est capable d'évoluer sans ma présence, il a attendu le temps qu'il fallait pour ne pas la priver trop tôt de moi, bien que ces derniers jours je n'ai plus la force d'ouvrir les yeux lorsque je sens sa main englober la mienne... Je ne serai plus de ce monde longtemps, c'est là mon ultime écrit te concernant, j'espère simplement qu'il te sera amené, que tu pourras être certain que jamais je ne t'ai oublié, que même si la mort m'emporte à petit feu, je ne pense qu'à ceux ayant fait jaillir une lumière bienfaitrice dans mon cœur et que, même si elle s'essouffle peu à peu, elle m'aura fait tenir tout ce temps pour elle, pour toi... Mon plus grand regret sera toujours le même, qu'elle n'ait pu te connaître, qu'elle n'ait pu avoir ton aile pour être certaine de grandir loin de son ombre... Pour ce faire, j'ai écris, me suis confiée à elle durant mes mois de convalescence, il n'y a qu'un seul journal qu'elle n'obtiendra que si tu désire faire parti de sa vie un jour, ne t'en fais pas, je ne te tiendrai rigueur de rien si toutefois il t'est trop pénible de la rencontrer, je ne te demande pas de le faire, je t'en offre juste la possibilité, ainsi que les moyens pour qu'elle soit sûre que tu ne te joues d'elle... Sache simplement que tout est organisé pour qu'elle ne soit pas sa proie comme je l'ai été, des gens veilleront sur elle... elle rejoindra simplement l'Argentine pour n'être victime de rien et vivre en paix loin d'un père qui n'aurait du être celui-ci.

Ps : Je n'ai plus peur de te le dire, et bien que l'amertume et les regrets de n'avoir su le faire plus tôt me rongent, je te l'écris pour qu'il te reste une trace de cette vérité... je t'aime Pierce, comme je n'ai su aimer ton propre frère.

Avec tout mon cœur, bien à toi,

Line

Cette lettre datée, usée comme aucun autre billet, n'avait jamais quitté son destinataire. Livrée par un homme, bien trop tard pour en rejoindre l’émettrice, la tirer d'un cauchemar pénible et des bras d'une mort certaine, elle fut là l'ultime souvenir qu'il aurait d'elle. Line, ce surnom avait quitté ses lèvres sur les bancs de la fac, il était sûr de ses sentiments pour elle, certain qu'ils grandiraient au grand jour, loin d'une société à laquelle leurs pères, ainsi qu'un tierce individu, appartenaient. Jamais il ne l'oublierait, jamais il ne se pardonnerait le fait de n'avoir su, tout comme elle, s'imposer à temps pour lui offrir la vie qu'elle méritait, ce fut pour cette raison qu'il désirait la voir, cette enfant qu'il n'avait vu naître, qu'il n'avait connu, nommée au plus doux des prénoms après celui de sa mère, simplement pour qu'elle sache qu'elle n'était pas seule à pleurer sa perte. A peine eut-il conscience du décès de Line, que Pierce revoyait son identité, par honte et mépris, par rancœur et amertume envers ceux lui ayant arraché la vie, puis prenait le premier vol pour le pays cité sur le papier qui portait encore son odeur. Jamais il ne retrouva la petite, jusqu'à rentrer aux Amériques et cesser de se bercer d'illusions jusqu'à la présumée fin du monde qui l'empêcha de reprendre ses recherches.

Cinq ans se sont écoulés sans qu'il n'abandonne le livret et cette lettre, l'unique photo qu'il avait d'elle et le ruban qui ornait ses cheveux sur les bancs de l'école, et alors qu'il se faisait une raison concernant l'enfant, celle-ci, en une ressemblance frappante, est apparue. Une jeune femme ancrée dans une vie qu'aurait du avoir sa propre mère, une demoiselle dont Line aurait été fière du parcours, loin de celui qu'avait du envisager Philip pour elle. Emma est apparue, mariée, une fille dans les bras, sa fille, pour annoncer officiellement la chute d'une société à l'origine des maux dont avait été victime l'univers et, à cet instant, alors qu'il avait passé nombreuses années à chercher une trace d'elle, la voyant ainsi épanouie et loin des sombres desseins d'un homme leur étant proche, il se tue pour ne plus la peiner et ainsi lui laisser vivre son existence... malgré ça, jamais ses yeux ne seront loin d'elle et si toutefois elle nécessite son aide, il la lui offrira en souvenir de la femme qu'il n'eut l'audace de chérir à temps.